Prologue facultatif

Il est un rêve si fort, si beau, si juste, qu'il ne quitte plus jamais celui qui l'a fait, et pourra même lui servir de refuge, de source pour retrouver force et élan, quand la vie lui opposera résistance, quand le désespoir se sera installé à force de lâcher prise. Dans ce rêve, on étend les bras et on quitte le sol sans effort, comme ces aigles que l'on voit par grand vent partir tels des flocons en ouvrant les ailes, et monter vers les nuages avec juste pour tenir le cap quelques frémissements de rémiges. Pour le rêveur, la sensation associée est une extase de liberté, à s'en fendre le cœur tant elle est intense, tant et si bien que, souvent, elle réveille le dormeur.

Ce rêve, chez certains, présente ce que l'on peut prendre par inadvertance comme une particularité : on passe au travers des nuages et le rêveur s'élance alors vers les étoiles. On y découvre le passage du bleu au noir — véridique — ainsi que des sensations de plénitude avec la libération miraculeuse associée à la disparition des chaînes que sont les forces de l'attraction universelle. On pourrait alors se prendre à croire que cet affranchissement est l'avenir de l'homme, que personne ne mérite le joug de la gravitation, que le calvaire de subir sa masse comme un poids n'est qu'une étape intermédiaire dans l'évolution de l'homme. Pour ceux qui l'ont connue, la jouissance que donne la sensation d'apesanteur est associée à la conviction quasi mystique que l'avenir est là, que sortir de l'atmosphère en est la première étape.

Ce rêve est en chacun de nous. En fait, il est inscrit dans nos gènes. La pression de l'évolution nous a fait curieux et volontaires parce que si nous ne l'avions pas été, nous aurions disparu comme des millions d'autres espèces ont déjà été effacées à jamais. L'attirance pour ce qui est différent, inconnu, lointain et mystérieux, nous a sans trêve poussés à rechercher ce qu'il y avait au bout de la savane, au bout de la forêt, à aller voir si le monde finissait. En réalité, cette force vibrait en nous avant même que nos ancêtres ne commencent à prendre une forme humaine. Elle trépigne, tapie au cœur de la vie dans ses principes actifs. Car une vie statique et dénuée d'audace serait déjà morte, par récurrence n'aurait jamais existé et n'existerait jamais. Chez l'homme, cette curiosité insatiable, à l'échelle des milliers de générations qui nous ont précédées, a causé la perte des plus braves, qui se sont aventurés à la rencontre d'obstacles pour lesquels ils n'étaient pas préparés. Mais elle a aussi mené les plus chanceux et les plus doués à la gloire ultime, celle des grands explorateurs et des grands intellectuels. Surtout, au sens que Darwin a donné au mot « nécessaire », cette démangeaison irrépressible nous a sauvés maintes fois en temps de malheur, quand il se trouvait un homme qui avait visité ou imaginé un ailleurs, un monde meilleur, et qu'il se levait pour y guider les autres.

À ce titre, pendant des millénaires, les étoiles sont restées si mystérieuses, tellement hors de portée, qu'elles ont alimenté l'imaginaire et les croyances, façonnant les panthéons, poussant à ériger les constructions les plus ardues, étonnantes, sublimes, et durables... Si bien que celles-ci constituent en fin de compte les traces de quelques civilisations parmi toutes celles, innombrables, qui se sont éteintes.

Il y a peu, la mesure de l'immensité de l'univers nous est apparue, les distances qui nous séparaient de ces astres furent révélées, si grandes qu'un géant pour qui le tour de la Terre ne serait qu'une seule enjambée ne parviendrait pas à atteindre la plus proche en un millénaire. Du coup, les curieux et les braves ont appris à se trouver d'autres horizons. Seuls quelques rêveurs n'ont pas pu détacher leur regard. Quand on a mis le pied sur la Lune, certains ont voulu croire qu'un autre temps allait venir, celui où les hommes partiraient se répandre dans les étoiles, comme des rats dont on aurait renversé la cage, mais l'humanité a pris une autre direction.

Cette histoire se déroule à l'aube d'un jour différent où le temps sera venu de réaliser que les étoiles sont la seule et unique voie, quelqu'en soit le prix, pour la raison très simple que l'alternative serait le néant de l'extinction, le fond de la poubelle de l'histoire de l'univers, le paradis misérable des efforts à jamais inaboutis.